samedi 2 mai 2020

Une caresse sur sa joue


Cette femme aux cheveux argentés t’a vu naitre. Ses mains tremblaient la première fois qu’elle a caressé ta joue joufflue.

Elle était ta seule grand-mère. Tu étais sa seule petite-fille. Elle t’a bercée pour calmer tes coliques, elle a chassé les monstres sous ton lit. Elle a veillé sur toi lorsque tu ne pouvais pas aller à l’école. Elle a déposé des baisers sur tes bobos, les faisant disparaitre par magie. Elle était si affectueuse ta grand-maman!

De la garderie jusqu’à ta sixième année, elle était là, assise dans la première rangée, la première à se lever pour applaudir tes prestations comme si tu étais la prochaine révélation. Combien de fois, a-t-elle dit que tu étais la plus belle rencontre de sa vie? Qu’être mère fut sa plus grande réussite, mais être ta grand-mère fut sa plus grande joie?


Elle a gardé tous tes secrets. D’ailleurs, ta mère et elle se sont parfois disputées à ce sujet. «Tu aurais dû me le dire», lui reprochait ta mère. « Je ne pouvais pas, je lui avais promis», rétorquait ta grand-mère.

Lorsque tu lui as appris que tu attendais ton premier enfant, des larmes ont inondé ses joues. Elle t’a dit, la voix tremblante qu’elle serait là pour toi, mais ça tu le savais déjà. Elle a exposé ton échographie sur son frigo. Vous avez pleuré et dansé ensemble lorsque tu lui as dit que tu portais une fille.

Cette femme aux cheveux argentés, ta précieuse grand-mère a reçu ses ailes hier soir. Pourtant, elle était si en forme, ta grand-maman.

Tu as obtenu la permission de passer 10 minutes avec elle.

Loin, dans le coin de la pièce, tu as pleuré, incapable de prononcer le moindre mot. Tu ne pouvais pas t’approcher, tu n’as pas pu caresser sa joue. Le masque que tu portais a étouffé ton dernier je t’aime. Tu as eu 10 minutes pour la remercier pour toutes ses années, pour lui dire comment tu peux l'aimer.

Tu as frotté ton ventre arrondi et tu as laissé ta place à ta mère, pour qu’elle puisse, elle aussi, la regarder mourir dans le coin de la pièce sans la toucher, sans l’accompagner.Tu n'as pas pu tenir la main de ta mère ni de ta grand-mère. Tu as ravalé ta souffrance, tu t'es étouffée avec ta peine.


Lorsqu’on vous a accordé le droit de rentrer, elle était déjà sur le point de quitter. Elle était si médicamentée, qu’elle a ouvert les yeux et les as refermés aussitôt. Elle s’est battue, pour toi, pour voir ta petite Alice naitre comme tu lui avais promis. Elle a souffert inutilement, refusant de mourir sans caresser ta joue, une dernière fois.

Elle s’est envolée sans que tu ne puisses tenir sa main, sans que tu ne puisses déposer un baiser sur sa joue. Et, personne n’a pu tenir la tienne tandis que tu voyais la femme de ta vie mourir sous tes yeux.

Seule sur le quai de gare, elle est partie pour son dernier voyage. Sans personne pour porter ses bagages, sans personne pour la saluer en lui envoyant des becs soufflés.

Voilà le véritable drame derrière ce Covid-19 ; ne pas pouvoir accompagner jusqu’à la gare celle qui t’a accompagné de ta naissance jusqu’à hier encore…