Je suis physiquement et mentalement épuisée. Je tire de la patte, je cherche la moindre parcelle d'énergie et tente de la multipliée à son paroxysme. Je me suis endormie deux soirs cette semaine à l'heure du souper pour ne me réveiller que le matin venu. Je ne me plains pas car j'adore mon nouvel emploi et l'intense fatigue qui lui est reliée n'est qu'un léger inconvénient. Ce n'est qu'une question d'adaptation, d'ici peu cette fatigue passera... Cette semaine en me rendant au travail, je me suis surprise a pleurer a chaudes larmes tant je me comptais chanceuse de me rendre a un endroit que j'aime tant. J'ai tant rouler ma bosse d'une place a l'autre sans jamais ressentir ce sentiment d'appartenance, sans percevoir avec certitude que j'étais enfin chez moi. Je ne peux exprimer avec des mots tout ce que je ressens et vis en ce moment tant je me sens porter par une chance inouïe qui semble placer les bons pions aux bons endroits. Je ne me considère pas comme une personne chanceuse, bien au contraire. Certains diraient même que ce qui fait ma marque de commerce est ma légendaire malchance . Combien de fois ais-je entendu dire en riant:- il y a bien juste a toi que ça arrive des affaires comme ça!-- C'est donc une des rares fois de ma vie ou je me sens profondément chanceuse comme si tout ce plaçait par magie. Je n'ai qu'a remercier la providence , qu'a savourer l'instant présent. Je demeure tout de même incrédule en me demandant quelle sera la prochaine tuile qui me tombera sur la tête mais une partie de moi espère que cette fois, le vent a tout simplement changé et que tout ira bien.
Oeuvrer dans le domaine de la santé, plus précisément auprès des personnes âgées, m'oblige a réfléchir sur la place que nous donnons a nos aînés. Considèrons-nous leur passé, leurs exploits, leurs victoires a leur juste valeur? Nous oublions ou ignorons trop souvent qui ils ont été. Je m'émerveille toujours devant leur portrait souvent jaunis par le temps. Je m'émeus devant leur beauté oubliée, devant l'usure de leurs mains autrefois si robuste. Je m'incline devant leur fragilité, devant leur confusion mentale. Je voudrais tout savoir d'eux, tout connaître de leur passé, de leur parcours de vie. Ils sont de véritables personnages, détenant au fond d'eux une histoire qui semble s'effacer de jour en jour. Certains semblent avoir été un jour déposés a la réception du centre d'acceuil pour être par la suite complètement oubliés. Des orphelins de l'amour et de la vie aussi car même cette dernière semble les avoir oubliée. Je songe a une petite dame que j'aime particulièrement, qui me chavire le coeur par sa grande fragilité. Lorsqu'elle m'empoigne doucement le poignet en me récitant un discours des plus incohérent, je ne peux empêcher mon coeur de se serrer. Je voudrais qu'elle soit ma grand-mère, je voudrais tant connaître son histoire, comprendre les méandres de ses cris. Lorsque affolée elle m'interpelle en criant : -- Mademoiselle, Miss, mademoiselle!!!-- je m'approche alors de son lit, je lui caresse les cheveux en lui chuchotant de se calmer et en lui demandant ce qui la met dans cet état. Elle me dit alors des choses qu'il m'est impossible de comprendre tel que de lui ramener le trottoir parce que d'autres l'ont volé ou encore qu'il faut aller chercher les enfants, qu'elle a perdu ses enfants. Je tente d'embarquer dans son discours et de la rassurer en lui disant que je m'en occupee. Je sais bien que je devrais continuer mon chemin, que je ne peux pas accourir a son chevet chaque fois qu'elle m'interpelle (car elle ne fait que cela, elle interpelle sans arrêt) mais c'est plus fort que moi, je me plais a tenter de deviner ce que fut sa vie. J'aime la douceur chez les aînés, j'aime leur docilité, leur innocence. Je me sens responsable de leur vulnérabilité comme si je me devais de faire preuve d'une douceur et d'une gentillesse égale a la leur. Je me dois de mériter toute la confiance qu'exige ce métier. Entres de mauvaises mains , les aînés deviennent des cibles de choix car ils sont dans l'incapacité de se défendre, voila pourquoi il faut pratiquer ce métier avec amour et compassion. Je tente de me mettre a leur place et de me demander comment j'aimerais que l'on me traite lorsque mon tour viendra car il viendra... L'oubli me fait si peur car je le perçois au quotidien. Cependant, si plusieurs semblent avoir été abandonnés au bons soins de l'état, d'autres ont la chance de recevoir chaque jour la visite d'un proche. Quel chance d'être le témoin de tant d'amour, de tant d'affection. Quel bonheur que ce métier qu'est le mien!
Mel xx